Faire des seniors un véritable levier de développement économique et social
Ridha MRABET, Expert en Investissement et Financement, souligne l’importance de la silver économie en Tunisie et l’urgence de mettre en place des mesures concrètes pour valoriser le rôle des séniors. Voici un extrait de notre entretien avec l’Ancien Président Directeur Général de la Société de Développement et d’Investissement du Nord-Ouest.
Pour certains économistes, les séniors sont une source d’emploi et de richesse pour la Tunisie. Partagez-vous cette vision ?
Selon les données publiées par l’Institut national de la statistique (INS), le principal enseignement du recensement réalisé en 2024 est le vieillissement marqué de la société tunisienne. La proportion des personnes âgées de 60 ans et plus a connu une progression significative, passant de 5,58 % en 1966 à 16,68 % en 2024, témoignant ainsi d’un vieillissement rapide de la population. Cette évolution démographique soulève de nombreux défis en matière de gestion d’une société vieillissante. En Tunisie, l’économie du vieillissement concerne aujourd’hui près de 17 % de la population, et cette part pourrait atteindre environ un quart de la population d’ici 2050. À l’instar de l’économie circulaire, qui vise la durabilité et l’optimisation des ressources naturelles, on parle désormais de « valorisation » des seniors. Ces derniers sont considérés non seulement comme une source importante d’emplois, de création de valeur et de richesse, mais aussi comme des porteurs de sagesse, de réflexion et de savoir-faire. Cette vision s’inscrit dans une dynamique de redéploiement visant à intégrer pleinement les aînés au cœur du tissu économique et social.
Pensez-vous que les politiques publiques ont un rôle à jouer ?
Les seniors représentent une source précieuse d’emplois et de création de richesse, et méritent à ce titre une attention particulière de la part des pouvoirs publics ainsi que des différents acteurs de l’écosystème socio-économique. Il est donc essentiel de mettre en place des mesures concrètes pour valoriser leur rôle et répondre à leurs besoins spécifiques. Parmi les pistes à envisager : 1) Instaurer des incitations financières et fiscales ciblées, tant pour encourager l’investissement (subventions, allègements fiscaux, avantages sociaux, etc.) que pour soutenir la consommation des seniors, notamment à travers l’amélioration des pensions de retraite et l’élargissement des couvertures sociales et assurantielles (CNAM, assurances privées, etc.). 2) Développer des mécanismes de financement dédiés aux projets répondant aux besoins des personnes âgées en biens et services. Cela pourrait inclure la création de fonds d’investissement spécialisés, ou encore l’émission d’« obligations seniors » (à l’image des green bonds), destinées à soutenir les initiatives économiques en lien avec le vieillissement de la population.
Doit-on parler de discrimination positive à l’égard des séniors tunisiens ?
En Tunisie, de nombreux retraités voient leur pouvoir d’achat se détériorer de manière significative par rapport à la situation financière qu’ils connaissaient lorsqu’ils étaient en activité. Leurs charges financières, loin de diminuer, se maintiennent voire augmentent après le départ à la retraite, en raison notamment de l’inflation, des dépenses de santé croissantes, du soutien continu apporté aux enfants poursuivant des études supérieures, ainsi que du remboursement de crédits, notamment immobiliers, qui se poursuivent souvent au-delà de la vie active. Dans ce contexte, les seniors tunisiens devraient bénéficier de politiques de discrimination positive, à travers : des circuits de santé et des services administratifs dédiés, des facilités d’accès au crédit bancaire, accompagnées de taux d’intérêt réduits, des avantages tarifaires sur les transports, les activités culturelles (cinéma, théâtre, festivals, etc.), et autres services.
Ce type de mesures inclusives permettrait de maintenir une part importante de la population âgée au cœur de la consommation et de la dynamique économique, générant ainsi des retombées positives en matière d’investissement, d’emploi, de création de richesse et de renforcement des recettes publiques. Par ailleurs, cela contribuerait à améliorer le cadre de vie des seniors et à préserver leur autonomie.
Les pensions de retraite constituent, pour la majorité des retraités, la principale voire l’unique source de revenu. Il devient donc impératif d’indexer ces pensions sur l’inflation et de favoriser le redéploiement des seniors dans des activités valorisantes, afin de garantir leur dignité et leur inclusion socio-économique.
Comment pouvons-nous profiter des compétences des séniors dans le domaine de l’entrepreneuriat en Tunisie ?
La réflexion autour du vieillissement de la population devrait être approfondie et orientée vers les objectifs suivants :
- Ancrer dans la culture des jeunes générations une perception positive de la vieillesse, en la présentant comme une étape de vie riche, porteuse de sagesse, de charme et digne de respect. Il s’agit de déconstruire les stéréotypes négatifs et de promouvoir une image valorisante des seniors.
- Faire des seniors un véritable levier de développement, en reconnaissant leur potentiel en matière de création de valeur, de transmission de savoirs et de contribution à la prospérité économique et sociale.
- Mettre en place des mécanismes, des structures et des outils financiers adaptés, permettant à la fois une meilleure préparation à la retraite et une amélioration concrète des conditions de vie des personnes âgées. L’objectif est de garantir, autant que possible, leur autonomie financière et leur qualité de vie.
- Favoriser le redéploiement professionnel des seniors, en leur offrant des opportunités d’emploi flexibles, centrées sur la valorisation de leurs compétences et de leur expérience. Il ne s’agit pas de les soumettre aux procédures classiques du marché du travail, mais de créer des cadres spécifiques d’accompagnement et de transmission des savoirs. Une plateforme dédiée pourrait faciliter cette mise en relation entre seniors et structures en demande.
Mon expérience dans le domaine du financement m’a clairement démontré que les PME, en particulier celles portées par de nouveaux promoteurs, ont un besoin réel et croissant des compétences des seniors. Ces derniers peuvent jouer un rôle clé dans l’accompagnement des projets, depuis la phase d’investissement jusqu’au démarrage opérationnel, et ce, dans toutes les spécialités.