L’apprentissage continu : un levier d’autonomie, de socialisation et de bonne santé mentale pour les séniors
Spécialiste de l’efficacité individuelle, collective et organisationnelle, Monsieur Mehdi Ouarche nous a fait l’honneur de nous accorder un entretien au cours duquel de nombreux thèmes ont été abordés : l’âgisme, l’effet Golem, l’intelligence émotionnelle et l’importance de l’apprentissage chez les séniors.Â
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’âgisme ?
L’âgisme est un ensemble de stéréotypes, d’aprioris, de discriminations, d’attitudes ou de comportements négatifs fondés sur l’âge d’une personne, en particulier envers les personnes âgées. Cela peut se traduire par des idées préconçues du type : « à un certain âge, on n’apprend plus », « les seniors sont dépassés », « il ne comprendra rien de cette nouvelle application informatique » ou encore « ils coûtent plus qu’ils ne rapportent ». En Tunisie, comme ailleurs, ces préjugés peuvent conduire à l’exclusion des seniors du monde du travail, des formations ou des débats publics, alors qu’ils ont encore beaucoup à apporter. Il y a d’énormes opportunités à faire intervenir les séniors mais elles sont au mieux sous exploitées ou au pire gâchées à cause de ces différents stéréotypes et préjugés envers les aînés.
Selon vous, comment les séniors tunisiens devraient-ils dépasser ces préjugés
La première étape, c’est de ne pas les intérioriser. Trop souvent, les seniors eux-mêmes finissent par croire qu’ils ne peuvent plus évoluer ou apprendre. Quand tout le monde vous dissuade d’entreprendre des actions dans votre vie ou quand vos proches ont tendance à faire les choses à votre place sous prétexte que vous êtes « vieux », l’effet Golem ( biais psychologique et comportemental selon lequel de faibles attentes envers une personne conduisent à une performance plus faible de sa part) prend place et le sénior aura tendance à se faire influencer par son entourage. Il finira au bout du compte par confirmer tous ces stéréotypes et ces préjugés négatifs sur le troisième âge. Une des choses essentielles à faire pour sortir de l’âgisme c’est de rester actif en participant à des formations, à des activités associatives ou entrepreneuriales, en partageant son expertise. Une règle de vie indispensable quand on est sénior est de rester curieux, explorer tout ce qui est nouveau autour de soi et s’intéresser à des sujets qui sont aux antipodes de sa culture. Enfin, il est important que les institutions et les entreprises tunisiennes valorisent l’expérience au lieu de la considérer comme un frein. Cela peut passer par le mentorat, des missions de conseil ou l’intégration des seniors dans des projets intergénérationnels.
Est-il vrai que les performances intellectuelles diminuent avec l’âge ?
Pas exactement. Certaines fonctions cognitives, comme la vitesse de traitement de l’information, peuvent connaître un ralentissement avec l’âge. Mais d’autres capacités comme le raisonnement, le vocabulaire, ou encore l’intelligence émotionnelle s’enrichissent avec l’expérience. La mémoire à long terme reste solide, et la sagesse (la capacité à prendre du recul et à juger avec discernement) tend à se développer avec l’âge. Le cerveau conserve sa plasticité tout au long de la vie, ce qui signifie qu’il reste capable de former de nouvelles connexions neuronales, en particulier lorsqu’il est régulièrement stimulé. C’est le phénomène de la neuroplasticité. Puisque la neurogenèse — la production de nouveaux neurones — se poursuit tout au long de la vie, il est essentiel de les stimuler afin qu’ils s’intègrent à des circuits neuronaux existants pour les enrichir, ou qu’ils forment de nouveaux circuits en réponse à des activités inédites, comme l’apprentissage d’un nouveau sport.
Qu’en est-il de la flexibilité et de l’adaptation aux changements ?
Il est vrai que certaines personnes âgées peuvent avoir plus de réticence que d’autres face au changement, surtout si elles n’ont pas été confrontées à des environnements dynamiques. Mais cela n’a rien à voir avec l’incapacité liée à l’âge. La flexibilité est une compétence qui s’entretient. Beaucoup de seniors tunisiens s’adaptent très bien aux nouvelles technologies, à de nouveaux rythmes de travail ou à des reconversions professionnelles. Tout dépend du contexte, du soutien, et surtout de la motivation. Il est primordial d’avoir des activités impliquante et impactantes autre que le travail tout au long de sa vie. Au moment de la retraite, le sénior continuera d’évoluer et de s’adapter aux changements de son environnement.
Quels sont les avantages de l'apprentissage tout au long de la vie des seniors ?
L’apprentissage tout au long de la vie contribue à maintenir l’activité cérébrale, à renforcer l’estime de soi et à préserver le lien avec le monde qui nous entoure. Pour les seniors, cela peut être un levier d’autonomie, de socialisation et même de santé mentale. En Tunisie, encourager les seniors à apprendre, à se former ou à transmettre leur savoir permettrait aussi de mieux valoriser le capital humain du pays. Apprendre à tout âge, c’est une manière de rester vivant, pertinent et engagé dans la société. Le cerveau est une machine extraordinaire encore méconnue malgré les avancées des neurosciences. Il n’a pas de limites en termes d’apprentissage.Â
Un message pour conclure cet entretien ?
Apprenez, apprenez et n’arrêtez jamais d’apprendre car quel que soit votre âge, votre cerveau demeure capable d’intégrer de nouvelles informations et d’acquérir de nouvelles connaissances.
